L’ORIGINE DE LA FEMME

L’ORIGINE DE LA FEMME.

CONTE XXVI.

Qui comme moi n’admirerait l’audace
De nos rabins et du fameux Joseph ?
Vous les voyez donner sur plus d’un chef,
Aux livres saints, des démentis en face.
Ces écrivains , avec témérité
Vont altérant le narré de Moyse ,
Et par maint fait qu’ils changent à leur guise,
ouvrent beau champ à l’incrédulité.
Bien est—il vrai que la sainte écriture
Prend dans leurs mains un air de vérité,
Qu’on ne voit pas toujours à la lecturé
Du livre obscur aux prophètes dicté;
Mais il n’importe, et sous aucun prétexte,
On ne doit point en altérer le texte.
N’ajoutant donc de foi qu’au seul auteur
Que va guidant un souflle inspirateur ,
Crions, crions anathême à quiconque
corrompt la bible, ou la change, ou la tronque;
Et donnât-il à son récitatif  
L’air le plus vrai, le tour le plus naïf,
Si qu'à côté la bible parût fable ,
Ne la croyons pour cela véritable.
Dieu, dit-il pas en maint et maint endroit :
Qui ne voit point, voit plus clair que qui voit.
Que la foi donc soit notre unique guide ;
Aussi s’est-on avec droit méfié
De ce qu’écrit le rabin Maimonide ,
Sur Dieu créant à l’homme une moitié.
Si l’on l’en croit, le chef de notre race
Fut long-temps seul dans le jardin d’Eden :
Tous les plaisirs le suivaient à la trace ,
Excepté ceux que l’on goûte en hymen.
Il n’en tâta de long-temps , le bon-homme.
Dieu ne l’avait pourtant façonné comme
Il paraissait , que de si beaux outils
Dussent rester pour la simple parade.
Puis devant lui mille animaux gentils,
S’allaient donnant l’amoureuse estocade,
Et témoignaient , par leurs roulements d’yeux ,
Que le plaisir ne devait être fade.
Le voilà donc à tourmenter les cieux
Pour en goûter. « Eh! Seigneur, sans compagne,
Que voulez-vous que je fasse en ces lieux,
Que m’ennuyer, dit-il, d’un ton pieux »
Dieu par hasard , du haut d’une montagne ,  
Oyant sa plainte , enfin se résolut
A le coupler et lui faire une femme,
Mais à regret; il savait que la dame
Bientôt mettrait obstacle à son salut ,
Et lui ferait gober mainte couleuvre.
Voilà pourquoi le bon Dieu ne voulut ,
Pour cette fois , mettre la main à l’œuvre.
Il en chargea l’archange Gabriel ,
Pour qu’en tout cas le reproche et la honte ,
De la besogne en fût tout pour son compte,
Et s’imputât au factotum du ciel.
Le Créateur avait d’abord à l’homme
Mis double queue ; une qui pendait, comme
Aux animaux, à la chute du rein;
Et quant à l’autre , il l’avait fait éclore
Au même endroit où l’on la voit encore.
Mais par la suite à l’être souverain ,
Celle du dos, y rêvant davantage ,
Parut gâter son plus parfait ouvrage.
Il fut conclu qu’on la réformerait.
A mon avis , c’est pourtant grand dommage,
Arrière queue en hymen servirait:
Dans ses ébats femme s’accrocherait
Par cet endroit : devant une maîtresse,
Chacun voudrait faire voir son adresse ,
Et frétiller en signe de tendresse  
Sa belle queue , ou s’en escrimerait
A tout moment; et, si je ne me trompe,
La queue aussi servirait pour la pompe.
Tel ornement , par faveur singulière,
De l’Ottoman marque la place altière.
Mais ô douleurs! ô soupirs superflus !
Dieu la supprime , et nous n’en avons plus.
Pour obéir aux ordres du Très-Haut ,
Le Séraphin , dans un mystique somme,
Profondément plongea le premier homme;
Puis le voyant à ronfler comme il faut,
Tout doucement met la main sur sa croupe,
Lui prend la queue, et rasibus lui coupe;
Et puis avec, dans un recoin d’Eden ,
Court fabriquer le vase de l’Hymen.
Chemin faisant, notre ouvrier rencontre
Arbres chargés de beaux fruits à la montre,
Fleuris sur-tout; desir vient d’en tâter ;
L’ange sur l’arbre aussi-tôt de monter ,
Pour en cueillir laissant la queue à terre -,
Mais un barbet , qui d’assez loin la flaire ,
En tapinois vous la hape et s’enfuit.
Il avait fait déjà plus d’une lieue ,
Quand Gabriel ne trouvant plus sa queue,
Double de l’aile , et si bien le poursuit ,  
Qu’il l’attrapa; mais l’animal vorace
Avait déjà grugé plus de moitié
De l’instrument à former notre race.
L’ange en courroux arrache sans pitié
Celle du chien, en disant : « Bon , qu’importe,
Que ce soit queue,ou bien d’homme ,ou de chien ,
Puisqu’après tout, l’œuvre n’en vaudra rien»?
L’ange , au surplus, fit sa tâche , de sorte
Qu’Adam du troc ne se douta trop bien.
Femmes , voilà pourtant votre origine,
Aux vieux rabins , si l’on ajoute foi.
Très-volontiers , je le croirai pour moi ;
Car donc depuis , d’amour rage canine,
N’a point quitté l’espèce féminine.

Robbé de Beauveset in Oeuvres Badines

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